24 novembre 2019

Pierre et Gilles, la fabrique des idoles


Alors que l'exposition Charlie Chaplin l'homme-orchestre a ouvert en octobre dernier, l'exposition Pierre et Gilles, la fabrique des idoles vient de débuter à la Philharmonie de Paris. Pierre et Gilles (Pierre le photographe et Gilles le peintre), qui collaborent depuis plus de 40 ans, sont parvenus à créer un univers unique et reconnaissable immédiatement, entre réalité et merveilleux. Plus de 100 œuvres de ce duo d'artistes sont réunies, des photographies peintes ou imprimées sur toile. Leurs peintures-photographies métamorphosent et subliment leurs modèles. Ces portraits originaux racontent une histoire.

Des années Palace - le temps de la jeunesse et de l’insouciance - au juke-box des années 1980 avec boules disco scintillantes, toutes les époques sont représentées. Les artistes sont majoritairement mis en scène seuls, mais on compte aussi quelques duos mémorables, dont l'ancien couple Dita Von Teese & Marilyn Manson et Jean-Paul Gaultier & son compagnon tous deux vêtus de marinière. Des icônes, des figures mythologiques réinventées, des créations entre rêve et cauchemar, parmi lesquelles Étienne Daho, Dani, Serge Gainsbourg, Lio, Amanda Lear, Françoise Hardy, Nina Hagen, Kylie Minogue... La nouvelle génération y est également magnifiée avec Clara Luciani, Juliette Armanet, Eddy de Pretto, M et Stromae dont le portrait trône sur l'affiche de l'exposition.

 Clara Luciani & Juliette Armanet

A noter deux pièces thématiques : l'une est un autel dédié à la musique, l'autre est consacrée à Sylvie Vartan.

La visite se fait en rythme grâce à la playlist de l'audioguide : chaque œuvre est accompagnée d'une chanson choisie par l’artiste photographié.

Le vernissage était festif, à l'image des murs recouverts de paillettes flashy. C'est kitsch, coloré, exubérant. Ces deux artistes parviennent à enchanter le réel grâce à une exposition réjouissante dans le gris de l'hiver.
 

11 novembre 2019

Hors normes


Présenté en clôture du Festival de Cannes, Hors normes d'Eric Toledano et Olivier Nakache met en scène Bruno & Malik (Vincent Cassel & Reda Kateb) à la tête de deux associations qui prennent en charge des enfants autistes.

L'association "La voix des justes" que dirige Bruno fait face une inspection de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) qui pourrait conduire à sa fermeture. Bien qu'existant depuis 15 ans, son association ne dispose ni d'autorisation ni d'agrément pour exercer. Malik, qui supervise "L'escale", une autre structure associative, va le soutenir et l'entraider dans ces circonstances difficiles.

Bruno et Karim se démènent pour un groupe d'adolescents et de jeunes adultes autistes,
des cas lourds non pris en charge par les structures traditionnelles. On suit notamment le parcours de Joseph, un autiste qui a pour fâcheuse habitude de tirer les sonnettes d'alarme dans les trains. Sa mère (Hélène Vincent) ne sait plus comment faire et s'en remet à Bruno depuis de nombreuses années.
Les nombreux acronymes des structures pour personnes handicapées (IGAS, ARS, MDPH, CMPP, CAMSP...) traduisent l'opacité du système de santé. Face aux solutions insuffisantes ou inexistantes, ils y pallient au mieux dans l'urgence, à hauteur de leurs moyens humains et financiers. Cela a pour contrepartie un joyeux bordel et une désorganisation qui peuvent avoir des conséquences pour les patients, parfois pris en charge par des éducateurs non encore diplômés.
Différentes communautés travaillent main dans la main. C'est une illustration du "vivre ensemble", entre le port du foulard, Bruno qui dissimule sa kippa sous sa casquette, la communauté juive qui bénit les repas, dont Alban Ivanov, serveur maladroit de la comédie Le sens de la fête en 2017 avec Jean-Pierre Bacri.
Malgré les difficultés, l'espoir transperce, grâce aux progrès réalisés par les résidents. La tendresse et l'amour que leur porte Bruno et Malik est très touchante, il y a tant d'émotions à fleur de peau ! 

C'est également très drôle, surtout via le personnage de Bruno (par exemple, les situations découlant de l'usage de l'agenda partagé entre les membres de l'équipe, ses chidoukhs - rendez-vous amoureux entre juifs - ou encore les expressions qu'il répète sans cesse "On y est presque" et "Je vais trouver une solution", quitte à s'épuiser) et aussi grâce à la relation entre Dylan, un nouvel éducateur, et l'orthophoniste Ludivine incarnée par Lyna Khoudri, héroïne de Papicha en lice au dernier Festival de Cannes.

De la même manière que j'ai vu et aimé tous les films de Cédric Klapisch dont le dernier opus Deux moi, j'ai apprécié tous ceux du duo Toledano Nakache. Nos jours heureux en 2006 avec Jean-Paul Rouve en directeur de colonies de vacances glorifiait déjà l'esprit de bande et le collectif. Après le phénomène Intouchables en 2011 et Samba en 2014, Hors normes est leur film le plus abouti : ils
ont mûri ce projet pendant 20 ans et se sentaient désormais prêts à le faire vivre sur grand écran.
Hors Normes est un film émouvant, réaliste, sincère, utile et drôle. Plus d'un million de spectateurs ont déjà été conquis, rejoignez-les d'autant plus que 5% des bénéfices sont reversés à des associations œuvrant dans ce domaine.

3 novembre 2019

Joker


Joker de Todd Phillips, avec Joaquin Phoenix dans le rôle titre, a reçu le Lion d'Or à la Mostra de Venise.

Été 1979, la ville de Gotham City est rongée par la misère, le c
limat est insurrectionnel, la violence gronde. Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) vit avec sa mère dans un appartement miteux et sordide. Il exerce la fonction de clown, est régulièrement agressé dans la rue. Il aspire à une carrière d'humoriste dans le stand-up. Le film relate le parcours de celui qui deviendra le Joker.

Après Jack Nicholson dans Batman de Tim Burton (sorti en 1989), Heath Ledger dans The dark knight de Christopher Nolan (2012) et Jared Leto dans Suicide squad de David Ayer (2016), c'est au tour de Joaquin Phoenix d'incarner le personnage de DC Comics dans un prequel scénarisé par Todd Phillips et Scott Silver.
Joaquin Phoenix, d'une maigreur cadavérique, réussit à transcrire de bout en bout le malaise et la folie du personnage, qui ne sait pas comment se comporter en société, notamment via son rire très singulier à contre-emploi.
Les scènes de danse sont fascinantes, par exemple celles dans les escaliers. Joaquin Phoenix s'approprie alors l'espace et se déploie : il s'empare de la scène, que ce soit les rues de Gotham ou le lieu clos de son appartement.

Une magnifique scène survient vers la fin du film : sur le capot d'une voiture de police, le personnage du Joker jaillit pleinement quand il se façonne avec du sang la bouche rouge en virgule remontante caractéristique du personnage.

Le réalisateur est connu jusque-là pour des comédies, dont la trilogie Very bad trip (Hangover en version originale) avec Bradley Cooper qui est coproducteur du film Joker. A contrario, Joker est un drame hyper violent, il n'y a plus aucun espoir dans Gotham City, alors que le futur Batman Bruce Wayne n'est encore qu'un enfant. C'est sombre, noir, à l'exception des costumes bigarrés du Joker, vêtu d'un tailleur rouge brique, d'un veston moutarde, affublé de cheveux teints en vert, le visage barbouillé de maquillage coloré.

Le film fait écho à Taxi Driver de Martin Scorsese sorti en 1976, avec Robert de Niro dans le rôle de Travis Bickle. L'acteur anime ici le Murray Flankin tonight show, une émission télévisée populaire, dans laquelle Arthur Fleck rêve d'être invité en tant qu'humoriste.

La bande originale est formidable, notamment la chanson That's life de Franck Sinatra qui retentit dans la scène finale.

Au vu des critiques dithyrambiques, je m’attendais à être scotchée par le film dans son entièreté, mais je suis ressortie avec quelques réserves relatives à des répétitions et longueurs. En revanche, j'ai trouvé Joaquin Phoenix magistral et époustouflant. Son interprétation est brillante dans la noirceur, il m'a subjuguée. Dans la course aux Oscars 2020, il se taille une place de choix et s'impose comme favori.