24 décembre 2024

Leurs enfants après eux

 
Leurs enfants après eux est un film de Ludovic et Zoran Boukherma, d'après le roman éponyme de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018.
 
Eté 1992. Les Vosges. Anthony, 14 ans, traîne avec son cousin, fait du vélo, passe le temps en jouant sur sa console à Street fighter. Il s'ennuie. A la plage des culs-nuls, il rencontre la fascinante Steph. Il décide alors d'emprunter la moto de son père pour la rejoindre à une soirée. Et là, c'est le début des emmerdes, son père va le tuer... 
On va suivre l’évolution des personnages sur plusieurs périodes : initialement l'été 1992, puis l'été 1994, le 14 juillet 1996 et l'été 1998.
 
Paul Kircher est fascinant dans le rôle d’Anthony. Il est tantôt candide comme un enfant, tantôt un jeune adulte, un mélange des genres unique. Son sourire naïf illumine tout son visage avec une force contagieuse. C’est très intéressant de suivre son évolution physique et celle de son jeu sur les quatre périodes du film. Quel plaisir de le retrouver et de le voir changer. 
Il a été auréolé du prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune espoir à la Mostra de Venise pour son interprétation. Il avait été nommé aux César dans la catégorie Meilleur jeune espoir masculin deux années consécutives : en 2023 pour Le lycéen de Christophe Honoré et en 2024 pour Le règne animal de Thomas Cailley, avec Romain Duris comme père, une révélation et une prestation qui m'avait déjà séduite, malgré le genre science-fiction du film que je n'affectionne pas beaucoup. 

Ses parents sont campés par Ludivine Sagnier (vu récemment dans le polar Quand vient l’automne de François Ozon) et Gilles Lellouche, réalisateur de L'amour ouf, qui aurait pu caster dans le rôle de Clotaire adolescent... Paul Kircher, qui était en finale aux côtés de Malik Frikah !
La relation père fils - qui sera d'ailleurs l'objet du prochain livre de Nicolas Mathieu - est très touchante, elle semble plus développée que dans le livre. Le père se bat contre son addiction à l'alcool, il est entier, violent, brutal, taciturne, mais il est prêt à se battre physiquement pour défendre son fils sans poser de questions. C'est Gilles Lellouche qui a convaincu Nicolas Mathieu d'adapter son livre sur grand écran, avec une condition préalable : jouer le rôle du père d’Anthony. Au départ, il était même prévu qu'il réalise le film.
 
Je suis séduite par le charme naturel et actuel d'Angelina Woreth, qui incarne Steph. Elle fascine Anthony, il ne cesse de lui dire "T'es si belle". Elle a déjà joué dans Ma vie Ma gueule avec Agnès Jaoui de la regrettée Sophie Fillières ou encore dans la série historique Fortune de France d'après l’œuvre de Robert Merle.

Sayyid El Alami est une très belle découverte dans le rôle de Hacine. J'aurais aimé le voir encore davantage à l'écran, même si son personnage est plus développé que dans le roman.

A noter la participation de Raphaël Quenard (Je verrai toujours vos visages, Yannick, Chien de la casse qui lui a valu le César de la révélation face à Paul Kircher, L'amour ouf) en caïd local.
 
La musique était déjà très présente dans le livre de Nicolas Mathieu. La première partie du roman s'intitule "1992 Smells like teen spirit", du nom de la première chanson de Nirvana extraite de l'album Nevermind qui les a faits connaître dans le monde entier ; la deuxième s'appelle "1994 You could be mine" ; la troisième "14 juillet 1996 La fièvre" ; la dernière "1998 I will survive".
La bande originale composée par Amaury Chabauty est un énorme coup de cœur ! J'adore le thème musical original Stéphanie et les arrangements de Where did you sleep last night? de Nirvana et Where is my mind? des Pixies dans des versions très douce enregistrées avec Les Petits Chanteurs à la croix de bois. I will survive, hymne de la coupe du monde de football, surprend dans un arrangement piano mélodique. On dirait que les paroles d'Un samedi soir sur la terre de Francis Cabrel ont été écrites sur mesure pour le duo Anthony & Steph, c'est une scène magnifique tellement attendue par les spectateurs. 
Je suis certainement particulièrement touchée par la musique parce que j'avais le même Walkman jaune et gris Sony qu'Anthony 😉 C'est agréable de revivre les années 90 au travers de cette reconstitution via la musique et les habits de l'époque notamment.

Le générique de fin se déroule sur Born to run du boss Bruce Springsteen. A la fin du livre, Anthony enfourche sa Suzuki à Heillange : "Ces mêmes impressions de soir d'été, l'ombre des bois, le vent sur son visage, l'exacte odeur de l'air, le grain de la route familier comme la peau d'une fille. Cette empreinte que la vallée avait laissée dans sa chair. L'effroyable douceur d'appartenir." Ce dernier plan cinématographique parvient à exprimer tous ces mots en images.

Les frères Boukherma, jumeaux réalisateurs âgés de 32 ans seulement, sont talentueux. On leur doit déjà Teddy avec Anthony Bajon en loup-garou et L'année du requin avec Marina Foïs et Jean-Pascal Zadi.

C'est toujours compliqué de voir adapter à l'écran un livre qu'on a beaucoup aimé, qui nous a fait découvrir un auteur dont on a lu toute l'œuvre ensuite. 
L'adaptation est fidèle, les personnages sont forts, le suspense intense, les décors visuellement impactants (comme l'allée de box lieu de rendez-vous d'Hacine, les majestueux hauts fourneaux, le lac). Certaines scènes sont très fortes et impriment la rétine (par exemple, quand Anthony est face au miroir dans sa chambre avec le flingue - référence à Are you talking to me? -, le feu d'artifice rassemblant tous les résidents malgré leurs oppositions, la lumière de la lune éclairant le lac la nuit).
J'ai beaucoup aimé ce film pour la performance de tous ses acteurs, le scénario adapté, la musique et la mise en scène, mais je ne suis pas certaine qu'il me marquera aussi longtemps que le livre qui a été un choc en août 2020. Quand je le relirai, c'est certain qu'Anthony aura désormais les traits de Paul Kircher.

8 décembre 2024

La plus précieuse des marchandises

La plus précieuse des marchandises est un film d'animation de Michel Hazanavicius, d'après le conte éponyme de Jean-Claude Grumberg, co-auteur du film. Il a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2024.

Une pauvre bûcheronne qui marche dans la forêt enneigée entend un train de marchandises passer au loin. Elle implore le ciel pour qu'il lui lui apporte une marchandise. Elle est sur le point de repartir chez elle quand elle entend un bébé pleurer à proximité. Elle le ramène à la maison, mais son mari ne va pas accueillir ce nouvel habitant avec le même engouement, lui reprochant d'être un sans-cœur...

C'est le premier film d'animation de Michel Hazanavicius, après notamment la saga OSS 117, The artist, Le redoutable... J'avais déjà pu apprécier la qualité de son trait de crayon lors d'un documentaire sur Canal + qui présentait la création d'un storyboard très détaillé pour l'un de ses films précédents.

Michel Hazanavicius remercie dans le générique de fin Robert Guédiguian "sans qui rien n'aurait été possible". Le réalisateur marseillais avait décliné la proposition d’adapter le livre, déclarant qu'il ne saurait pas faire. Il est co-producteur du film. 

Le casting des voix de doublage est formidable :
-
le narrateur a la voix douce et familière du regretté Jean-Louis Trintignant,
- Dominique Blanc joue la pauvre bûcheronne,
- Grégory Gadebois le pauvre bûcheron,
- Denis Podalydès est l'homme à la gueule cassée.

La musique d'Alexandre Desplat, tantôt légère et gaie, tantôt sombre et inquiétante, accompagne le conte avec délicatesse. 

Le metteur en scène a fait le choix d'images fixes, comme inanimées, pour les scènes dans les camps et a recouru au noir et blanc uniquement pour ces passages sombres de l'Histoire.

J'ai pleuré lors du dernier monologue de Jean-louis Trintignant : il parle de ce qui compte vraiment dans la vie, ça m'a bouleversé. "C'est un film sur la vie" selon son réalisateur et c'est exactement ce que j'ai ressenti. Malgré les scènes difficiles qui n’occultent rien de l'horreur de la guerre, le film est porteur d'espoir, lumineux et beau, traitant des Justes. Ce conte poétique et familial qui dure 1h21 est visible dès l'âge de 10 ans. 

A noter qu'il existe une réédition du livre de Jean-Claude Grumberg (parution au Seuil en novembre 2024) comportant des dessins originaux de Michel Hazanavicius, dont certains sont exposés à la Galerie Cinéma jusqu'au 20 décembre.

18 novembre 2024

Swann Périssé dans Calme

 
Swann Périssé s'est fait connaître en postant des vidéos sur YouTube il y a 10 ans déjà. Elle a notamment fait le buzz avec la vidéo Il m'a quitté par mail dans laquelle elle documentait sur plusieurs mois sa rupture soudaine et son chagrin d'amour.

Elle a écrit en quelques jours un spectacle inédit d'1h15 sur la politique intitulé Dernier spectacle avant la fin du monde, publié le 27 juin 2024, juste avant le premier tour des élections législatives du 30 juin 2024, un vrai tour de force.
 
Elle est connue pour ses engagements écolos. Elle a créé le podcast Y'a plus de saisons, dans lequel elle a reçu notamment Jean-Marc Jancovici, Camille Etienne, Guillaume Meurice ou encore Cyril Dion.
 
Elle joue fin 2024 au théâtre Édouard VII (situé dans le quartier de la Madeleine, "un quartier que son public gaucho ne connaît pas") les mardis et mercredis à 19h son nouveau spectacle Calme, un adjectif qui ne la caractérise pas du tout !
Swann Périssé, c'est un concentré d'énergie, un dynamisme qui semble sans faille. Elle ose tout : e
lle en impose niveau look, avec ses tenues moulantes et flashy en vinyle, parcourt la scène avec une démarche assurée, tout en se moquant d'elle-même, et en portant des bottes imprimé animal.
Elle parle de sa colère et de comment elle essaie de la gérer en ne suivant pas les conseils de son psy.
Elle raconte sans filtre des histoires personnelles, parfois de façon trash, flirte avec la folie, par exemple quand elle se fait rire elle-même !
Elle est très à l'aise en impro : elle interagit et joue avec son public en rebondissant sur les réponses données par les spectateurs à ses questions.
Elle raconte des anecdotes très drôles, attention à ne pas confondre "cure de jeûne" et "cure de jeunes"... Elle aborde aussi des sujets féministes, comme le procès Pelicot et la notion de consentement, tout en réussissant à rester drôle par moment.
Elle maîtrise la pédale loop (qui enregistre des boucles de son) et improvise une chanson de fin de spectacle.

Calme c'est un pur moment drôle, unique, sincère, vivant, qui alterne passages écrits et moments d'impro, qui révèle le talent de Swann Périssé sur scène. C'est à mourir de rire par moment, je ne me remets pas de l'histoire du lavement à la fin du spectacle 🤣

12 novembre 2024

Grace - Jeff Buckley Dances by Benjamin Millepied

     

Grace est le seul album studio de Jeff Buckley enregistré de son vivant. L'artiste est décédé en 1997 à l'âge de 31 ans d'une noyade accidentelle.

Benjamin Millepied a été séduit par la voix de Jeff Buckley dès la première écoute à New York en 1994. C'est donc le 30e anniversaire de cet album culte et intemporel.

Grace - Jeff Buckley Dances est la première création mondiale du chorégraphe mêlant spectacle musical et danse.

The Grace Company aspire à porter des projets de la scène au cinéma en lien avec la musique et la danse. La troupe de 10 danseurs virevolte sur scène avec grâce, dont David Adrien Freeland qui incarne Jeff Buckley. Les 9 autres interprètes sont à la fois l'expression de ses désirs et de ses peurs, l'apparition de ses amis et de ses amours. Ces danseurs sont polymorphes, transmettent l'émotion avec leurs pas, avec une énergie communicative. Des passages alternent en groupe, en duo et en solo.

L'action se déroule entre 1994 et 1996. Dans les tableaux successifs, on ressent la fragilité de l'artiste.

Le spectacle commence avec Song to the siren, chanson de Tim Buckley, le père de Jeff Buckley.
La version de Calling you de Jeff Buckley, chanson popularisée par le film Bagdad café, est sublime et m'a fait redécouvrir le texte.

L'emblématique Hallelujah, écrit par Leonard Cohen, résonne juste avant l'entracte et embarque les spectateurs.
Le final sur Whole lotta love de Led Zeppelin 
(qu'il chantait juste avant de se noyer) est dingue !

Tous les textes utilisés dans le spectacle sont de Jeff Buckley. J'ai retenu :
"La musique, c'est 10% d'inspiration, 90% de transpiration."
"L'amour guérit de toutes les blessures, pas seulement le temps."

Un musicien joue de la guitare électrique en live sur certains morceaux.

Un caméraman est présent sur scène. Il réalise des jeux de mise en scène très cinématographiques, des gros plans diffusés sur l'écran géant ou effectue des plans chorégraphiés, en créant des effets visuels en direct avec beaucoup d'inventivité, par exemple en jouant à l'image avec le lit présent sur scène ou avec la fenêtre dans la scénographie. 

C'était la première fois que j'assistais à un spectacle à La Seine Musicale. Le lieu est très agréable, la "grande seine" est magistrale et l'acoustique très réussie.

Le spectacle, qui dure 2h45 avec un entracte, est ambitieux, original et très cinématographique.


3 novembre 2024

Le cœur qui bat

 
Le cœur qui bat est un film documentaire de Vincent Delerm sur le sentiment amoureux. Il traite de la rencontre, de la relation de couple et de la fin d'une relation.

La bande annonce dévoile des extraits de témoignages de personnes anonymes ou célèbres.
Certains m'ont marqué davantage : 
- cela commence par l'histoire de Mathilde qui était à l'école primaire avec Vincent Delerm et qu'il a retrouvée 30 ans après
- Suzanne Lindon qui dit "je peux pas rester pas amoureuse, ça m'intéresse pas !"
- le chorégraphe et danseur Léo Walk qui confie être en roue libre quand il est amoureux et s'interroge sur sa virilité et sa sensibilité
- le chanteur Nicolas Michaux et son concept de "second hand love" après avoir vécu un grand amour qui a pris fin
- le peintre et écrivain Serge Rezvani sur sa relation avec sa femme. La chanson "Ni trop tôt, ni trop tard" est reprise par Vincent Delerm dans la bande originale du film.

Vincent Delerm joue aussi le jeu des confidences en narrant son amitié avec Vincent Schmidt adolescent, l'histoire de ses parents Martine et Philippe, la certitude de l'amour tout en regardant un paysage enneigé à Montréal de nuit.

Sorti le 22 septembre, le film est projeté pour les Parisiens tous les dimanches au Cinéma des Cinéastes. Il ne dure que 1h08, un si joli moment trop court, qui alterne les séquences en noir et blanc et en couleurs.

Comme l'a dit le philosophe André Comte-Sponville dans Pensées sur l'amour : "L'amour est le sujet le plus intéressant, et aucun autre n'a d'intérêt qu'à proportion de l'amour que nous y mettons ou y trouvons."
 
C'est l'objet du film Le cœur qui bat de Vincent Delerm. C'est émouvant, intime et pudique à la fois. Les personnes interviewées s'y dévoilent sur l'Amour avec sincérité et sans artifice.

27 octobre 2024

L'amour ouf

 

J'avais très envie de voir L'amour ouf de Gilles Lellouche depuis sa présentation au dernier Festival de Cannes. Je n'ai pas été déçue malgré l'attente !

L'action se situe dans le nord de la France, dans les années 80 (les cabines téléphoniques, les fringues Chevignon et les survets fluos...).

Tout le casting est incroyable : Adèle Exarchopoulos, François Civil, Mallory Wanecque, Malik Frikah, Alain Chabat, Raphaël Quenard, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Elodie Bouchez, Karim Leklou.
Les 2 duos qui incarnent Jackie et Clotaire sont formidables et ont autant de place dans le film : Mallory Wanecque (révélée par Les pires) & Malik Frikah (un talent brut) à 15 et 17 ans, puis Adèle Exarchopoulos & François Civil à 25 et 28 ans. Elle m'a émue et il m'a même arrachée quelques larmes. Il m'a surpris dans ce registre inhabituel.

La musique originale de Jon Brion est essentielle, que ce soit lors des scènes d'action, de danse (entre Jackie et Clotaire adolescents à la fête du lycée) ou romantiques (quand Jackie écoute Nothing compares 2 U sur son walkman).

La mise en scène est originale mais maîtrisée : Gilles Lellouche sait parfaitement où placer sa caméra et comment la déplacer. Il en résulte des plans de toute beauté (comme le baiser à l'avant de la locomotive entre Jackie et Clotaire adolescents), des points de vue à part et des détails qui impriment la rétine sur grand écran (des scènes d'éclipse tantôt pleine d'espoir, tantôt mélancolique).

J'y vois une énorme déclaration d'amour au cinéma, avec des références multiples : Quentin Tarantino (Boulevard de la mort, Once upon a time in Hollywood), Martin Scorsese, Drive de Nicolas Winding Refn (pour le rythme, la BO très présente et l'histoire d'amour contrariée), West side story, Ken Loach, La haine de Mathieu Kassovitz...

C'est violent, intense durant 2h40 et original. On retrouve le grain de folie de Narco et du Grand bain. L'affiche alternative résume bien le film : c'est "une comédie romantique et musicale ultra violente". Tout est dit ou presque.