23 février 2020

#JeSuisLà


#JeSuisLà est un film d'Eric Lartigau avec Alain Chabat.
 
Stéphane (Alain Chabat) est un cinquantenaire divorcé, père de deux fils, et restaurateur dans le pays basque. Esseulé, il est en contact sur les réseaux sociaux avec Soo (Doona Bae), une coréenne. Il retrouve la joie de vivre à travers leurs échanges quotidiens en ligne et décide sur un coup de tête de la rejoindre à Séoul...

J'aime l'humour d'Alain Chabat et ce qu'il dégage en tant que comique (depuis Les nuls), acteur et réalisateur (Didier, Astérix et Obélix : mission Cléopâtre) et animateur de Burger Quiz. Je trouve qu'il se bonifie avec le temps et gagne en nuance dans son jeu. Ce personnage lui ressemble  : son regard exprime bonté, malice et humanité. Le scénario est signé par Eric Lartigau et Thomas Bidegain. Leurs humours et leurs tons sont si proches de celui d'Alain Chabat que j'ai supposé à tort qu'il avait participé à l'écriture des dialogues. 
L'actrice Doona Bae est une grande actrice coréenne, son jeu est tout en subtilité et en retenue.
Blanche Gardin m'a plus convaincue et fait rire par les répliques de son personnage Suzanne et les évocations de son mari Bernard, que par son accent du sud-ouest.
Les deux fils d'Alain Chabat, campés par Ilian Bergala et Jules Sagot, sont justes et touchants, au travers de leurs amours filial et fraternel.

Après les réussis Prête-moi ta main en 2006 (avec le faux couple Alain Chabat/Charlotte Gainsbourg) et La famille Bélier en décembre 2014 (qui révéla Louane Emera), le 7e opus d'Eric Lartigau est construit en 3 unités de lieux et de temps : d'abord le pays basque pour planter le décor, puis le vaste aéroport de Séoul et enfin la mégalopole en elle-même.
L'aéroport de la capitale de la Corée du Sud est démesuré et très moderne, à l'instar des sols et des murs recouverts de milliers de lampes LED colorées. Il est adossé à un centre commercial luxueux et animé, dans lequel le groupe de K-pop Myteen se produit sur scène. Le film montre aussi les extrêmes de l'époque actuelle, la folie et les excès des réseaux sociaux.
Le voyage est ici synonyme d'évasion et de dépaysement, à l'image de celui ressenti par Scarlett Johansson et Bill Murray dans Lost in translation de Sofia Coppola. Les différences de culture et de langage sont exacerbées. C'est le parcours de vie de Stéphane que l'on suit : le personnage incarné par Alain Chabat sort de sa zone de confort, évolue, fait des découvertes et des rencontres pour finir par être plus vivant que jamais.

Certes, ce film n'est pas parfait. Il peut être répétitif et comporte des longueurs ; l'engouement pour Stéphane sur les réseaux sociaux peut sembler excessif. Mais Alain Chabat me cueille et me convainc à chaque scène et me fait aimer l'ensemble. 
Soo explique à Stéphane qu'en coréen il y a un mot pour désigner avec précision chaque situation et chaque sentiment. Ainsi, le "nunchi" dont elle lui parle décrit l'art et la capacité d'écouter et d'évaluer ce que les gens pensent et ressentent, sans avoir besoin de (se) parler.
S'il y a un mot en coréen pour désigner le fait de passer un bon moment au cinéma, pas impérissable mais agréable, qui ouvre sur le monde et ses différences, porté par un acteur irrésistible, je l'utiliserai volontiers pour décrire #JeSuisLà.

2 février 2020

Jojo rabbit


Jojo rabbit est un film du réalisateur néo-zélandais Taika Waititi, avec Roman Griffin Davis et Scarlett Johansson.

En 1943, en Allemagne, Joseph Betlzer (Roman Griffin Davis), un aryen de 10 ans, vit avec sa mère Rosie (Scarlett Johansson) qui l'élève seule. Lors d'un weekend d’initiation aux jeunesses hitlériennes, il hérite du surnom "Jojo rabbit" par des officiers nazis  Il a deux amis : son camarade Yorki et un ami imaginaire qui a les traits d'Adolf Hitler ! Jojo rabbit narre 6 mois décisifs de la vie de Jojo qui vont le faire grandir, en le confrontant aux préjugés, au racisme, à la mort, à l'expérience de l'amitié et de l'amour.

Il ne faut surtout pas avoir peur d'aller voir ce film au pitch déroutant ! Malgré le sujet, j'ai ri toutes les 30 secondes. C'est un film essentiel et le choix du réalisateur d'utiliser le filtre de la comédie permet de mettre en exergue les absurdités de l'époque, comme les croyances que les juifs sont télépathes ou des fantômes.
La scène d'ouverture du film donne le ton avec une dizaine de "Heil Hitler" (le salut fasciste) tourné en dérision. Soit on rit de suite en comprenant le second degré permanent et l'absurdité des dialogues ou des costumes, soit on n'adhère pas et on ne va pas être embarqué par cet ovni cinématographique.
Qu'est-ce que j'ai pu rire de l'horreur des dialogues qui font en même temps froid dans le dos.
75 ans après la libération du camp d’Auschwitz, 57% des Français ignorent le nombre de juifs tués lors de la Shoah. Alors que l'antisémitisme est en forte croissance, ce film résonne encore davantage aujourd'hui.

Taika Waititi signe également le scénario (adapté du livre Le ciel en cage de Christine Leunens) et il est méconnaissable dans le rôle d'Hitler, l'ami imaginaire de Jojo. Remarqué au festival de Sundance, lauréat du prix du scénario adapté de la Writers Guild Award (aux côtés de Parasite pour le scénario original), Jojo rabbit a raflé 6 nominations aux BAFTA et autant aux Oscars (dont meilleur film, meilleure actrice dans un second rôle pour Scarlett Johansson, meilleur scénario adapté et meilleur montage).
Le choix du cadre est remarquable, j'ai été surprise et épatée par le parti pris du metteur en scène. Par exemple, les gros plans sur les chaussures de Jojo ou de sa mère m'ont fait, selon les moments, sourire, rire ou pleurer.

Et quel casting, toute la distribution est magistrale :
- Le rôle principal de Jojo est campé par le jeune franco-britannique Roman Griffin Davis : pour son premier rôle, c'est très prometteur grâce à un talent instinctif.
- Scarlett Johansson brille dans tous les registres ! J'admire cette actrice depuis Lost in translation de Sofia Coppola, en passant par Match point de Woody Allen, Her où sa voix séduisait Joaquin Phoenix, jusqu'à Marriage story de Noah Baumbach disponible sur Netflix, dans lequel elle se déchire avec Adam Driver. Ce film lui vaut une seconde nomination aux Oscars cette année, cette fois en tant que meilleure actrice, une situation quasi inédite : même si le doublé semble hors de portée, l'Oscar pour Jojo rabbit semble plus accessible.
- Thomasin McKenzie (dont 2 nouveaux films vont sortir, avec une filmographie en comptant déjà 6) incarne Elsa avec une grâce infinie.
- Sam Rockwell (Les associés, Confessions d'un homme dangereux, 3 billboards... et bientôt dans Le cas Richard Jewell de Clint Eastwood) est excessif à l'image de son uniforme final flamboyant.
- Dans deux rôles de nazis sadiques, à contre-emploi de leurs comédies habituelles, Rebel Wilson et Stephen Merchant sont jouissifs.

C'est drôle, surprenant, poétique, sensible et dramatique. Un joyeux bordel qui a du sens et fait forcément penser à La vie est belle de Roberto Benigni, mais aussi à la folie douce de Wes Anderson. La citation de Rainer Maria Rilke en clôture du film synthétise la beauté et la portée de ce film atypique : “Let everything happen to you. Beauty and terror. Just keep going. No feeling is final.
Il y a des films qui vous marquent à vie, dont les images restent en vous. Jojo rabbit en fait partie pour moi.