Leurs enfants après eux est un film de Ludovic et Zoran Boukherma, d'après le roman éponyme de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018.
Eté 1992. Les Vosges. Anthony, 14 ans, traîne avec son cousin, fait du vélo, passe le temps en jouant sur sa console à Street fighter. Il s'ennuie. A la plage des culs-nuls, il rencontre la fascinante Steph. Il décide alors d'emprunter la moto de son père pour la rejoindre à une soirée. Et là, c'est le début des emmerdes, son père va le tuer...
On va suivre l’évolution des personnages sur plusieurs périodes : initialement l'été 1992, puis l'été 1994, le 14 juillet 1996 et l'été 1998.
Paul Kircher est fascinant dans le rôle d’Anthony. Il est tantôt candide comme un enfant, tantôt un jeune adulte, un mélange des genres unique. Son sourire naïf illumine tout son visage avec une force contagieuse. C’est très intéressant de suivre son évolution physique et celle de son jeu sur les quatre périodes du film. Quel plaisir de le retrouver et de le voir changer.
Il a été auréolé du prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune espoir à la Mostra de Venise pour son interprétation. Il avait été nommé aux César dans la catégorie Meilleur jeune espoir masculin deux années consécutives : en 2023 pour Le lycéen de Christophe Honoré et en 2024 pour Le règne animal de Thomas Cailley, avec Romain Duris comme père, une révélation et une prestation qui m'avait déjà séduite, malgré le genre science-fiction du film que je n'affectionne pas beaucoup.
Ses parents sont campés par Ludivine Sagnier (vu récemment dans le polar Quand vient l’automne de François Ozon) et Gilles Lellouche, réalisateur de L'amour ouf, qui aurait pu caster dans le rôle de Clotaire adolescent... Paul Kircher, qui était en finale aux côtés de Malik Frikah !
La relation père fils - qui sera d'ailleurs l'objet du prochain livre de Nicolas
Mathieu - est très touchante, elle semble plus développée que dans le livre. Le père se bat contre son addiction à l'alcool, il est entier, violent, brutal, taciturne, mais il est prêt à se battre physiquement pour défendre son fils sans poser de questions. C'est Gilles Lellouche qui a convaincu Nicolas Mathieu d'adapter son livre
sur grand écran, avec une condition préalable : jouer le rôle du père
d’Anthony. Au départ, il était même prévu qu'il réalise le film.
Je suis séduite par le charme naturel et actuel d'Angelina Woreth, qui incarne Steph. Elle fascine Anthony, il ne cesse de lui dire "T'es si belle". Elle a déjà joué dans Ma vie Ma gueule avec Agnès Jaoui de la regrettée Sophie Fillières ou encore dans la série historique Fortune de France d'après l’œuvre de Robert Merle.
Sayyid El Alami est une très belle découverte dans le rôle de Hacine. J'aurais aimé le voir encore davantage à l'écran, même si son personnage est plus développé que dans le roman.
A noter la participation de Raphaël Quenard (Je verrai toujours vos visages, Yannick, Chien de la casse qui lui a valu le César de la révélation face à Paul Kircher, L'amour ouf) en caïd local.
La musique était déjà très présente dans le livre de Nicolas Mathieu. La première partie du roman s'intitule "1992 Smells like teen spirit", du nom de la première chanson de Nirvana extraite de l'album Nevermind qui les a faits connaître dans le monde entier ; la deuxième s'appelle "1994 You could be mine" ; la troisième "14 juillet 1996 La fièvre" ; la dernière "1998 I will survive".
La bande originale composée par Amaury Chabauty est un énorme coup de cœur ! J'adore le thème musical original Stéphanie et les arrangements de Where did you sleep last night? de Nirvana et Where is my mind? des Pixies dans des versions très douce enregistrées avec Les Petits Chanteurs à la croix de bois. I will survive, hymne de la coupe du monde de football, surprend dans un arrangement piano mélodique. On dirait que les paroles d'Un samedi soir sur la terre de Francis Cabrel ont été écrites sur mesure pour le duo Anthony & Steph, c'est une scène magnifique tellement attendue par les spectateurs.
Je suis certainement particulièrement touchée par la musique parce que j'avais le même Walkman jaune et gris Sony qu'Anthony 😉 C'est agréable de revivre les années 90 au travers de cette reconstitution via la musique et les habits de l'époque notamment.
Le générique de fin se déroule sur Born to run du boss Bruce Springsteen. A la fin du livre, Anthony enfourche sa Suzuki à Heillange : "Ces mêmes impressions de soir d'été, l'ombre des bois, le vent sur son visage, l'exacte odeur de l'air, le grain de la route familier comme la peau d'une fille. Cette empreinte que la vallée avait laissée dans sa chair. L'effroyable douceur d'appartenir." Ce dernier plan cinématographique parvient à exprimer tous ces mots en images.
Les frères Boukherma, jumeaux réalisateurs âgés de 32 ans seulement, sont talentueux. On leur doit déjà Teddy avec Anthony Bajon en loup-garou et L'année du requin avec Marina Foïs et Jean-Pascal Zadi.
C'est toujours compliqué de voir adapter à l'écran un livre qu'on a beaucoup aimé, qui nous a fait découvrir un auteur dont on a lu toute l'œuvre ensuite.
L'adaptation est fidèle, les personnages sont forts, le suspense intense, les décors visuellement impactants (comme l'allée de box lieu de rendez-vous d'Hacine, les majestueux hauts fourneaux, le lac). Certaines scènes sont très fortes et impriment la rétine (par exemple, quand Anthony est face au miroir dans sa chambre avec le flingue - référence à Are you talking to me? -, le feu d'artifice rassemblant tous les résidents malgré leurs oppositions, la lumière de la lune éclairant le lac la nuit).
J'ai beaucoup aimé ce film pour la performance de tous ses acteurs, le scénario adapté, la musique et la mise en scène, mais je ne suis pas certaine qu'il me marquera aussi longtemps que le livre qui a été un choc en août 2020. Quand je le relirai, c'est certain qu'Anthony aura désormais les traits de Paul Kircher.